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03 janvier 2008

Commentaires

SHAKTI

De Marthe et de Marie à la débâcle idéologique

L’âge moderne avait espéré expliquer et changer le monde. Il n’y a qu’à lire, pour s’en convaincre, une publicité trentenaire telle que celle-ci :

LA CONSCIENCE ENERGIE STRUCTURE DE L'HOMME ET DE L'UNIVERS une oeuvre de DR BROSSE THERESE paru en 1978 aux éditions PRESENCE.

Mais l’homme contemporain reste confronté à l’imperfection du monde et à la débâcle des idéologies. A force de passer de rêves en utopies, il a perdu les significations d’un univers qu’il ne comprend plus et d’un monde socio culturel qu’il ne sait plus maîtriser. Il désire bien une morale mais il ne sait sur quoi la fonder. Il reconnaît le bien et le mal dans l’instant, même si ses critères demeurent approximatifs, s’émeut ou s’indigne sans méfiance des amalgames que lui délivrent sans compter, les médias en embuscade derrière le moindre indice de dérapage.
L’homme contemporain a exilé son Créateur. A défaut de rédemption et de bonheur éternel, il recherche de nouvelles immortalités symboliques, par le biais d’un néo scientisme dont il se complaît ou par la fuite dans les sectes ou autres groupes humains susceptibles de lui procurer un confort moral artificiel. Ou encore il se réfugie dans les grandes Traditions Orientales que certains savent magnifiquement exploiter afin de promouvoir des théories sensées apporter le bonheur immédiat. L’Amour est bien sûr la clé de la félicité mais il ne peut se découvrir sans connaître le rôle éminent joué par les énergies cachées. Cette démarche lui évitera de passer par le triste souvenir des préceptes d’antan. Il se laisse escroquer intellectuellement par des best- sellers qui ne font que l’égarer dans une jungle de contre vérités. En fait il est soumis à une perpétuelle contradiction : d’une part il a soif d’absolu mais d’autre part il craint cet absolu et par suite il cherche à s’en imaginer un à son image.

C’est ainsi que les peuples occidentaux se trouvent volontairement démunis de religion alors que d’autres peuples de la planète n’ont plus que la religion. Cette étrange situation peut engendrer un véritable cataclysme planétaire. Devant la mort qui est le lot de tous, les uns se voilent la face en se lançant dans des projets capables de lui donner la plénitude et la fausse impression d’être immortel. D’autres, et c’est le plus grand nombre, qui n’ont que la religion, ne possèdent pas ces conditions du bonheur. Leurs échecs politiques, économiques, éducatifs, sanitaires, ou autres, trouvent une relative compensation dans les religions. Cependant ces hommes-là ne sont pas des anges ou de pures abstractions. Ils ne peuvent se satisfaire d’un ascétisme permanent. Si une religion devient ainsi un refuge de l’esprit insatisfait, alors elle est porteuse de périls. La religion doit donner un sens au quotidien et non remplacer le quotidien. Si elle sert de compensation à l’échec ou au malheur, alors elle se métamorphose en entreprise destructrice des corps et de l’esprit dont l’un des aspects est le fondamentalisme et le terrorisme. Le monde occidental au contraire refuse la religion mais sa situation est ambiguë et schinophrènogène. Il possède la richesse et les outils du bonheur terrestre mais en fait il est en recherche permanente de morale et de religion. Ce bonheur matériel ne lui évite pas toutes les confrontations à la dure réalité de l’existence. C’est ainsi qu’on a créé par exemple le mot : « Ethique ». L’organisation des sociétés occidentales a généré une avancée considérable dans le progrès et l’utilisation des libertés individuelles même si nos structures démocratiques restent imparfaites..
Il n’en est pas de même pour la religion qui constitue une composante insignifiante de la vie sociale et des activités individuelles.
A l’athéisme militant d’il y a un siècle et plus, succède l’indifférence qui donne une fausse idée d’une société qui paraît infiniment plus tolérante qu’à l’époque de Voltaire. Cet athéisme violent n’a plus de sens car le comportement de nos contemporains a évacué tous les rites, les images, les symboles qui, autrefois, servaient de critères au bon fonctionnement et à l’équilibre des sociétés. La modernité est donc apparue, investie d’une mission apparemment légitime : délivrer les hommes de toutes les contraintes morales et intellectuelles aliénantes, donc de la transcendance qui étouffait leur conscience.. Après l’époque des Lumières sont alors apparus des pourfendeurs de la pensée tyrannique : Nietzsche, Marx, Freud, Comte, Sartre, etc…Ce n’est finalement pas la révolution communiste, mais l’idéologie du progrès qui a réussi le pari d’éteindre la flamme de la réalité spirituelle.

Le désir d’Absolu n’a cependant pas disparu de notre univers mental.. Cette contradiction prend sa part dans le désarroi contemporain. Il demeure toutes les interrogations sur le sens de la vie et celui de la mort. La modernité n’a pas réussi à transformer l’individu. Je disais un jour à une philosophe : « En chacun de nous un Itler sommeille ! ». L’homme ne se suffit pas du monde de la connaissance car la problématique liée au sens, n’est pas contenu dans les livres. Personne n’a fait l’expérience de la mort puis d’un retour sur terre. Le terme de la vie suscite une angoisse et l’homme se fait explorateur de mystères. Dans l’histoire de l’humanité il n’existe aucune forme de bonheur qui évacue cette idée de la mort. Celle-ci frappe alors que l’on se sentait à l’abri de toute agression. En fait, ce n’est pas le malheur, la faim et l’échec, qui fondent qui fonde la religion, mais le désir d’absolu blottit en tout homme.
Nous connaissons nos limites car nous savons nous comparer à quelqu’un d’autre. Nous savons notre existence limitée, mais nous ne savons pas par rapport à quoi. S’il existe une vie après la mort alors il nous est impossible de la décrire, d’autant plus que nos repères moraux et intellectuels ne sont guère efficaces. Les repères : voilà un thème qui vaut la peine d’être sondé. « Dieu créa l’homme à son image », peut-on lire dans les livres saints. N’y a-t-il pas dans cette exhortation biblique, un appel vers une tentative d’explication des religions. On ne peut certes percer un mystère, mais nous devons, non pas savoir, mais interroger. Comme le dit le philosophe tchèque Patocka, nous sommes des veilleurs d’énigmes. La philosophe : Chantal Delsol s’exprime ainsi : « Ce que nous appelons l’âme, représente la faculté d’attention aux mystères.. L’âme, qui se différentie du corps et de l’esprit, est cette part de l’homme qui se tient en marge de l’existence, guettant ce qu’elle pressent, mais ne sait ni ne voit. » Mais l’âme, c’est peut-être plus encore. L’espoir de la modernité a bien été de programmer le triomphe de l’homme sur les énigmes par toutes sortes de moyens.

Mais nous savons aujourd’hui que le monde est inexplicable. Nous sommes capables, grâce aux sciences et à l’épistémologie, de connaître beaucoup de choses sur notre existence et notre environnement, mais il nous faut porter attention aux mystères, tout faisant un pas vers cette recherche de l’absolu, sans quoi nous ressemblons à ces souris enfermées dans un bocal et qui cherchent désespérément d’en sortir. La question de Dieu n’est pas insensée. Toute réponse est évidemment périlleuse..

Evidemment, le sens de la pensée contemporaine est un refus de ce que beaucoup ne désirent plus revoir. La croyance a souvent abouti à des abus traumatisants. Le fanatisme de la certitude est porteur de désastres et de mort, source de toutes les intolérances. A ce point de vue, idéologies et religions sont à placer sur le même échafaud.
L’histoire ne se recommencera pas avec son cortège d’horreurs ou tout au moins pas sous les mêmes aspects. Dans le futur, les mêmes questions n’auront pas nécessairement les mêmes réponses. Toute religion doit s’institutionnaliser pour assurer la pérennité de ses certitudes. Mais le faisant, elle devient conquérante. Ce n’est pas la religion qu’on doit mettre en cause mais l’être humain dans toute sa complexité. Le politique et le religieux s’interpénètrent alors très souvent pour encadrer la conscience collective et les consciences individuelles. La transmission de la foi n’est pas une chose toute simple ; lorsque l’on veut convaincre on doit s’imposer ; mais tout ne se réduit pas à des dogmes à apprendre par cœur ; l’homme en raison de sa nature, a besoin de soins et d’écoute.
Vouloir repousser les religions à cause de leurs excès, c’est jeter le bébé avec l’eau du bain. Le religieux fait partie intégrante de la condition humaine. On ne peut supprimer en l’homme la pensée idéologique…car alors il faudrait supprimer la politique, l’économie, la famille sous le seul prétexte qu’il faille supprimer toutes les déviations ! Il faut donc assassiner la vie pour abolir toutes les imperfections ! L’homme moderne reste
fondamentalement religieux mais son esprit est désespérément mou et parfois son cœur dur.

Nos sociétés sont riches en gourous et d’experts en apocalypses, en idéologies panthéistes et en pratiques de nature gnostique d’un autre âge, en charlatans du bonheur .et en fondamentalistes de tout bord. Ainsi l’homme contemporain se trouve confronté à une fragmentation du religieux et à une culture spirituelle très pauvre qui n’assure pas son épanouissement. Il se referme sur une religion personnelle et en définitive rejette toute religion révélée, par paresse ou par crainte des questions qui le torturent. Il est vrai que nul ne peut démontrer l’existence d’un absolu et que nul ne peut démontrer son inexistence. La foi c’est faire confiance, or l’homme moderne désabusé ne croit même plus en la raison. Cet homme se différencie fortement des gens pour lesquels les religions avaient été instituées.
Il est déçu par les évènements de l’histoire et puis il a conquis une certaine liberté de juger
Il voudrait entendre parler de l’absolu mais il tombe sur des querelles byzantines sur la position du prêtre à l’autel ou sur l’utilité ou l’inutilité du latin.

Comment imaginer alors une religion crédible à ses yeux et non oppressive ?
Comment faire à la polémique une place bien plus réduite, et convaincre qu’une société ne peut se passer de règles…mais quelles règles ?

Comment combler le vide religieux qui marque une époque victime des progrès de la connaissance ?

L’essentiel pour moi est que, dans ce domaine de l’esprit, les questions insondables osent affleurer à la surface. Ce sera œuvrer dans le même sens que Marie.



Denis Pompey

La question posée par le "commentaire" ci dessus me semble vraie dans ses préoccupations, mais une phrase me fait peur, sans doute écrite dans un autre sens: "lorsque l'on veut convaincre, il faut s'imposer". Une vraie religion, qui suppose une relation à Dieu, ne pose pas la question ainsi. Il n'y a ni à convaincre ni à s'imposer, mais à vivre. Vivre comme un fou d'amour, vivre dans cette extraordinaire liberté, qui questionne ceux qui n'ont jamais osé se poser certaines questions, et ouvre en eux un espace totalement inconnu. "D'où tient-il cet élan?", de même que les protagonistes du Christ (en St Jean) ne cessent de se demander "d'où est-Il".
On ne révolutionnera pas le monde par la force, fût-elle religieuse, au risque de le tuer. On le révolutionnera en nous révolutionnant nous-même pour chercher éperdument cette folle liberté que seul Dieu peut nous donner, à profusion. Ou plutôt, en nous laissant révolutionner par Dieu.
C'est dans cette ouverture que nous percerons la porte vers le jardin d'Eden, et que nous nous laisserons passer de l'image à la ressemblance de Dieu. Non plus une image pâlement statique qui n'est qu'en deux dimensions, mais une ressemblance active, vivante, chair palpitante offerte en Eucharistie au monde et en priorité à ceux qui ont perdu la route et le sens, ce qui est la première, mais aussi l'ultime pauvreté.

SHAKTI

L’affirmation en question, prise hors d’un contexte, est naturellement inquiétante. Cependant l’homme ne peut agir comme si l’humanité était peuplée d’anges ou de saints désincarnés. Tout ce qui est manifestation est sujet à dualité. Je m’explique. Lorsque des parents élèvent un enfant, ils ont en permanence le devoir de choix entre deux attitudes : celle qui va châtier, si possible avec justice, et celle, au contraire, qui va se montrer douce, tolérante et compréhensive. Victor Hugo parlant de la vie, écrivait ceci : des vagues océanes qui se composent et se décomposent sans cesse.
Lorsque mon fils avait 16 ans, parlant de la jeunesse de son temps, aimait à dire que si les jeunes ne fréquentaient plus les églises, c’est qu’on les avaient éduqués dans la paresse spirituelle ! Alors comment faire face à la paresse ? Moi-même qui suis adulte, n’ai-je pas besoin parfois d’une parole forte qui me pousse à réagir ?
Lorsque mon épouse avoue qu’après la mort, il n’y a rien, je lui fais comprendre que je n’en suis pas choqué, car rien ne prouve l’existence d’un Dieu ni son inexistence. Alors là, je n’ai que la force de mon témoignage, si tant est que…
La vie terrestre doit être faite de témoignages d’amour certes, mais notre nature humaine ne peut être conçue sans une certaine souffrance de l’esprit qui essaie de prendre en compte toutes les complexités de l’existence….pour tendre, comme vous le faites comprendre très justement, vers l’état de sainteté.

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