PLAISE A LA COUR
Considérant que le canon 915 du Code de droit canonique établit que "Les excommuniés et les interdits, après l'infliction ou la déclaration de la peine, et ceux qui persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste, ne seront pas admis à la sainte communion".
Considérant que le canon 1056 du Code de droit canonique établit que « les propriétés essentielles du mariage sont l'unité et l'indissolubilité qui, dans le mariage chrétien, en raison du sacrement, acquièrent une solidité particulière », et qu'il s'en suit sans autre considération que tout lien conjugal est intrinsèquement indissoluble.
Considérant que le fait générateur d'une seconde alliance conjugale est un péché grave et instantané qui produit des effets pour l'avenir, mais qu'il n'est pas loisible à une personne entrée dans une deuxième alliance conjugale de la renier sans pécher plus gravement encore.
PAR CES MOTIFS
les requérants concluent qu’il plaise
à l'Eglise catholique
de
DIRE
que le maintient dans une deuxième alliance conjugale n'a pas le caractère de persistance obstinée dans un péché grave et manifeste.
REAFFIRMER
sa sollicitude maternelle pour les fidèles qui se trouvent dans cette situation ou dans d’autres situations analogues.
ENJOINDRE
à ses ministres d'accueillir, comme une condition de vraie pastoralité, d’authentique préoccupation pour le bien de ces fidèles et de toute l’Église, les demandes de réconciliation et d'admission à l’eucharistie des personnes entrées dans une deuxième alliance conjugale, dites « divorcés remariés ».
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Anciennement avocat, Jean-Paul Vesco aurait pu présenter son argumentation comme une requête formulée devant le Conseil d'Etat ; dominicain et évêque, le frère Jean-Paul Vesco est aussi le témoin d'une expérience pastorale qui demande à l'Eglise d'être présente aux moments de fragilité et de rupture, et qui ne se résigne pas à choisir entre vérité et miséricorde.
Depuis les années 70, texte après texte, l’Église tente de clore la question des « divorcés remariés », et la question est sans cesse soulevé à nouveau par des pasteurs, des théologiens, par le public.
Comment se fait-il que l’Église préconise la miséricorde et engage les fidèles divorcés remariés à se sentir toujours membres de l’Église, tout en les tenant écartés de l'Eucharistie " source et sommet de toute la vie chrétienne » ?
Comment se fait-il qu'en pratique le remariage des fidèles est le seul cas où la réconciliation sacramentelle n'est pas possible ? Et si en théorie la situation des fidèles divorcés remariés n'est pas la seule qui devrait poser question par rapport à l'appartenance ecclésiale (sans aller jusqu'au général Pinochet, il y a bien d'autres situations de contradiction permanente avec une exigence de l’Évangile), elle seule fait l'objet de rappels constants de la part des plus hautes autorités de l’Église.
L'INSEE nous dit qu'il y a eu en 2013 233 108 mariages et 124 948 divorces. La première réponse pastorale est de renforcer la préparation au mariage, de tout faire pour que l'échec n'advienne pas, mais qui se leurre ? Une préparation accrue de trois soirées et un week-end au temps des fiançailles ne renversera pas le développement massif des divorces que nous voyons depuis des décennies et n'épargnera pas la douloureuse confrontation de l’Église à l'échec des unions qu'elle célèbre.
Dans cet activisme de la préparation il y a peut être pour partie une forme de retrait paniqué devant l'échec vertigineux que décrivent les statistiques.
Étonnamment, alors que la doctrine de l’Église fonde l'indissolubilité du mariage sur cette parole du Christ « Ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas » (Mc 10,9) toute l'attention est centrée sur le nouveau mariage, et fort peu sur le divorce lui-même, or c'est bien la séparation qui montre la faillite du premier lien , et met en cause l'indissolubilité. En revanche quand après un parcours douloureux, enfin une nouvelle union vient apporter une renaissance et un espoir nouveau dans l'amour, là tombent les sanctions. D'un côté la vie s'ouvre, de l'autre la loi vient l'étouffer. Comment l’Église voit-elle son rôle
Combien de pasteurs et de théologiens devront encore se lever à la suite de Jean-Paul Vesco et de tant d'autres pour que l’Église entende les peines et les joies des hommes et des femmes ?
Par Philippe O.
Par Patrick Vincienne, laïc op
Tout a commencé par le geste symbolique de Yeb Sano, le chef de la délégation des Philippines lors de la conférence de l’Onu sur le climat de novembre 2013 à Varsovie. Le typhon Haiyan venant de frapper durement son pays, causant la mort de 7.000 personnes et de millions de sans-abri, il a refusé de s’alimenter et son geste a fait sensation.
Catholique pratiquant, il a ensuite lancé « Fast for the Climate » (« Jeûne pour le climat »), un mouvement mondial œcuménique, dans la perspective de la convention internationale sur le climat prévue à Paris en décembre 2015, avec pour but de parvenir à un engagement ferme de la part de la communauté internationale de réduire les émissions de gaz à effet de serre. « L’avenir de la planète va se jouer à cette occasion », a-t-il assuré.
Il était à Paris le 4 juin pour la mise en place du « Jeûne pour le climat », la déclinaison française de ce mouvement. Toutes les grandes religions y étaient représentées, ainsi que des ONG et des personnalités comme Mgr Marc Stenger, président de Pax Christi, le pasteur François Clavairoly, président de la Fédération Protestante de France, Tareq Oubrou, recteur de la grande mosquée de Bordeaux, ou Nicolas Hulot, ambassadeur pour la protection de la planète.
Ces personnalités ont apporté leur soutien à l’appel au jeûne relayé par une trentaine d’organisations non gouvernementales à travers le monde. « Chacun est invité à jeûner chaque 1er jour du mois jusqu’au 1er décembre 2015, début de la grande conférence sur le climat à Paris »
L’objectif de cette démarche symbolique ? « Exprimer sa solidarité avec les personnes pauvres et vulnérables qui souffrent et souffriront du changement climatique et pousser à l’adoption d’un accord global, contraignant et juste lors de la conférence de 2015 »
Ainsi, des groupes de personnes se réunissent-elles le 1er jour de chaque mois dans plusieurs villes de France pour jeûner le temps d’un repas, pour partager des expériences, échanger des réflexions et méditer. « Le jeûne c’est un acte de résistance pour s’arracher à l’addiction de la société de consommation. »
L’Eglise Catholique s'associe à ce projet et exprime publiquement des valeurs spirituelles et éthiques communes à d'autres religions, susceptibles de transformer nos sociétés. Elle appelle l'Etat et les collectivités locales à assumer leur responsabilité, malgré la crise économique, à prendre des mesures décisives face au changement climatique et à s'affranchir de la dépendance des combustibles fossiles. Elle appelle à intensifier les efforts pour anticiper les effets de ce changement, en particulier dans les pays les plus vulnérables. C'est aussi l'occasion d'inviter les chrétiens à modifier leurs modes de vie dans cette perspective.
« Léguer une terre saine aux générations futures est un devoir de justice pour les chrétiens »a assuré Marc Stenger. De son côté, Tareq Oubrou a souligné que « Le jeûne, c’est la liberté de dire non, non à cet instinct de consommation qui nous pousse à détruire la nature. Or détruire la nature, c’est nous détruire nous-mêmes. »
Publié initialement sur le site Montesinos.fr
Par le Frère Jacques-Benoît Rauscher, op et Patrick Vincienne, laïc op
Le monde entier est aujourd’hui sensibilisé sur le sujet du climat, un énorme chantier, mais nous sommes aveuglés par les innombrables questions qui envahissent notre vision à court-terme, et la volonté de changer n’est encore le fait que d’une minorité. C’est le « syndrome du Titanic » : le bateau coule, mais l’orchestre continue de jouer les mêmes airs. Jacques Chirac l’avait exprimé à sa façon à Johannesburg : « notre maison brule, mais nous regardons ailleurs ». Beaucoup, tel Nicolas Hulot, envoyé spécial du Président de la République française, en visite à trois reprises à Rome en 2013 et 2014, se tournent vers l’Eglise pour espérer faire changer les consciences.
De fait, la Pensée sociale de l’Eglise a manifesté un intérêt assez précoce pour ces questions. En effet, c’est en 1971, alors que ces problématiques émergent à peine dans le débat, que Paul VI indique dans sa lettre apostolique Octogesima adveniens : « Tandis que l’horizon de l’homme se modifie ainsi à partir des images qu’on choisit pour lui, une autre transformation se fait sentir, conséquence aussi dramatique qu’inattendue de l’activité humaine. Brusquement l’homme en prend conscience : par une exploitation inconsidérée de la nature il risque de la détruire et d’être à son tour la victime de cette dégradation. » (§21).
Ses successeurs ont approfondi cette perspective. En particulier, Jean-Paul II a eu le souci d’intégrer cette question à l’ensemble des problématiques de Justice et de Paix. Il indique ainsi que le non-respect de la création est non seulement une offense faite au Créateur, mais qu’elle est aussi un problème moral. Il souligne que « la pollution ou la destruction de l'environnement sont le résultat d'une vision réductrice et antinaturelle qui dénote parfois un véritable mépris de l'homme » (Message pour la Journée mondiale de la Paix 1990, §7). Enfin, Jean-Paul II a exprimé de manière particulièrement nette le lien qui existe entre les questions de développement et les questions environnementales. Il a expliqué combien les pays les moins développés étaient souvent contraints à une destruction de leur patrimoine naturel susceptible de provoquer de graves conséquences pour leurs populations à moyen et long terme. Benoît XVI poursuit cette volonté d’intégrer la question environnementale dans l’ensemble des questions morales et sociales dont traite la Pensée Sociale de l’Eglise. Dans son encyclique sociale publiée en 2007 il écrit ainsi : « Les devoirs que nous avons vis-à-vis de l’environnement sont liés aux devoirs que nous avons envers la personne considérée en elle-même et dans sa relation avec les autres. On ne peut exiger les uns et piétiner les autres. » (Caritas in Veritate, §51).
Mais Benoît XVI a aussi contribué à manifester une limite à la défense de l’environnement en rappelant que celle-ci ne peut conduire à concevoir la dignité de la nature comme supérieure à la personne humaine. Il s’oppose ainsi aux mouvements de l’écologie radicale qui risque, selon lui, de tendre à un néo-panthéisme ou à un néo-paganisme qui conduirait à oublier la « grammaire » établie par le Créateur qui a confié à l’homme le rôle de gardien de la Création (Message pour la Journée mondiale de la Paix, 2010, §13).
Le Pape François devrait poursuivre cette réflexion par une grande encyclique sur l’écologie attendue pour mai ou juin 2015.
La Pensée Sociale de l’Eglise nous rappelle que nous sommes partenaires d’une alliance avec Dieu, en tant qu’enfants de Dieu. Nous tentons aussi d’être les artisans d’une alliance des hommes entre eux, pour vivre ensemble en paix, comme des frères. Nous sommes enfin appelés à forger une alliance respectueuse entre les hommes et leur environnement naturel.
Rédigé par fr. Jacques-Benoît Rauscher, op et Patrick Vincienne, laïc op
Après les meurtres du début janvier et dont les auteurs justifiaient leurs actions par des références à l'Islam j'ai voulu comprendre, au moins un peu, les mécanismes de la radicalisation.
Je suis allé chercher pour cela les quelques auteurs français spécialistes de la question, commençant par « la Sainte Ignorance » d'Olivier Roy.
Olivier Roy écrit depuis maintenant plus de 30 ans sur la question de l'Islam, et dans « la Sainte Ignorance » il développe au delà de l'Islam les conséquences de la rupture entre religion et culture.
Déculturation et absence de transmission conduisent toute une génération à se construire un islam réduit à des normes explicites (charia) et à des slogans détachés de tout contexte social (djihad). Quant à ceux qui se radicalisent, il s'agit d'une collection d’individus, de solitaires, de jeunes déclassés, mal dans leur peau qui se socialisent dans le cadre d’une petite bande ou d’un petit groupe qui se vit comme l’avant-garde d’une « communauté musulmane » imaginaire : aucun n’était inséré dans une sociabilité de masse, qu’elle soit religieuse, politique ou associative. Ils étaient polis mais invisibles : « avec eux, c’était juste bonjour-bonsoir » est un leitmotiv des voisins effarés. Ils parlent pêle-mêle de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Tchétchénie, des musulmans massacrés dans le monde, mais aucun n’évoque le racisme, l’exclusion sociale ou le chômage, et ils ne citent la Palestine que parmi la litanie des contentieux.
Olivier Roy porte son analyse sur le marché des religions, et relève des parallèles, comme l'apparition d'une circulation mondiale des dogmes et des religiosités, et dans ce vaste marché ce sont des conversions individuelles qui ont lieu, sans lien avec la culture locale. On pense à l'Islam, mais les exemples sont nombreux dans toutes les religions ou presque. Et pour faciliter ces conversions mondiales, il vaut mieux n'avoir à partager qu'un corpus d'idées simples, d'autant plus transposable qu'il n'est plus adhérent à une culture. On crée du « pur religieux » en détachant la norme religieuse de toute morale sociale .
Dans ce rêve de la foi pure, qui a pu être celui de Savonarole j'ai retrouvé beaucoup de questions de pastorale très actuelles pour les catholiques, ce qui me fait dire que nous n'avons pas rien à voir avec le mouvement dans sa globalité.
Par exemple dans le texte récent du synode de la famille on lit Il ne faut pas oublier non plus que l’Église qui prêche sur la famille est un signe de contradiction. La posture prise est bien celle d’une sous-culture minoritaire qui s'oppose au multiculturalisme contemporain qui n'est plus profane mais carrément païen.
Dans cette évolution, ce qu'il reste de croyants se trouvent plus impliqués dans leur foi, dans des communautés plus ferventes. L’Église renforce ses exigences et favorise l’avancée au cœur de la foi. Elle a le souci de former des chrétiens « adultes dans leur foi ». Oliver Roy dirait « des purs ». Mais quelles est la conséquence de ce christianisme confessant plus exigeant ? Est-il encore possible de laisser place à différents modes d’appartenance chrétienne et donc de ménager des cheminements possibles qui ne soient pas enfermés dans le tout ou rien, le tout dedans et le tout dehors. Olivier Roy relève que pour se marier religieusement il faut plus désormais qu'un certificat de baptême, et le synode sur la famille suggère des formations approfondies en préparation au mariage. Ici ou là la préparation des parents au baptême de leur enfant revêt des exigences nouvelles.
Dans le même temps que nous cherchons « des purs », qui répondront à l’exigence d’une vie chrétienne plus radicale et communautaire nous ne voyons plus la vie de l’Esprit à l’œuvre en tout homme dans le monde, mais seulement les lignes de rupture, surtout en matière de morale familiale et sexuelle, notamment sur les sujets brûlants que sont par exemple la place de la femme, l’homosexualité ou la parentalité. Où va la religion qui se contente d'une orthopraxie et ne donne plus un horizon de sens ? Nous voyons des paroisses se resserrer et des fidèles les quitter sur la pointe des pieds, sans contestation.
Saurons nous estomper les frontières au lieu de les renforcer ?
Par Patrick Vincienne, laïc op
Que ce soit en raison des inondations, de la sécheresse, des cyclones, de l’érosion des sols, de plus en plus de personnes dans le mondesont contraintes de quitter leur domicile pour des raisons climatiques. Si ce phénomène a toujours existé, il est préoccupant de constater aujourd’hui qu’il s’accélère en raison des transformations climatiques liées à l’activité humaine. On estime ainsi qu’à l’horizon 2050, ce sont 200 millions de personnes qui seront contraintes de quitter, chaque année, leur lieu d’habitation pour des raisons climatiques.
L’alerte sur le climat débute par l’expression d’une inquiétude. En 1968, le rapport du Club de Rome* « Halte à la croissance » pointe du doigt les limites infranchissables auxquelles l’humanité est confrontée, ce qui devrait la conduire à changer ses habitudes en profondeur. Cette révélation suscite une vague de réflexions. En 1987, rédigé à la demande de l’ONU, le rapport Brundtland « Notre avenir à tous » confirme et propose d’emprunter résolument la voie d’un «développement durable* ».
Dès lors, on sait l’impossibilité de satisfaire à la fois la croissance démographique (7,3 milliards aujourd’hui, un doublement depuis 1970) et une croissance économique telle qu’elle a été conduite jusqu’à ce jour, dopée par une soif de richesse sans esprit de partage, exploitant à outrance les ressources naturelles, provoquant des inégalités sociales croissantes et une pollution envahissante. Tout particulièrement préoccupante est la production de GES*, ces composants relâchés dans l’atmosphère par la combustion des énergies fossiles. En 1988, L’ONU donne mandat au GIEC* d’étudier de près les réactions du climat, leur impact, et de proposer des solutions.
Le signal du changement est lancé à Rio en 1992. L’humanité comprend qu’elle porte atteinte à son habitat et que ses propres œuvres la mettent en danger. C’est la prise de conscience que l’activité humaine, engagée depuis 250 ans sur un rythme effréné, est à l’origine de la modification des équilibres de notre planète dont les temps géologiques conserveront la trace visible. Il faut agir et il est bien tard pour s’y mettre. En effet, les causes accumulées et l’énorme inertie des effets nous garantissent déjà un accroissement de 2°C de la température moyenne de la Terre en 2100.
De plus, la situation empire chaque année et, si rien n’est fait pour infléchir les trajectoires, nous pourrions atteindre +5°C (un écart comparable nous sépare de l’ère glaciaire), entrainant un dérèglement irréversible aux conséquences incalculables :
Réchauffement et précipitations plus marqués dans les zones tropicales, modification des courants marins, régression des glaciers et des glaces marines, fonte du pergélisol*, élévation du niveau des mers affectant 100 millions de personnes vivant dans les deltas, et des centaines de zones urbaines littorales inondées, accroissement en fréquence, durée et intensité des phénomènes extrêmes (canicules, inondations, sécheresses, cyclones …) et des situations catastrophiques associées, impact négatif sur les rendements agricoles, accroissement des causes de conflits, aggravation des risques sanitaires, de la malnutrition, déplacement des espèces animales et végétales et de populations humaines par centaines de millions. …
Ce tableau chaotique parait non maitrisable aux climatologues, car il dépasse la capacité de réponse des systèmes naturels et humains. Dans ces conditions, après des réunions décevantes sur le climat (Copenhague, Doha et, tout récemment, Lima), la Conférence de Paris en décembre 2015 sur le changement climatique suscite une attente immense.
Ref :
Paris vient de vivre trois journées sous haute tension qui ont récapitulé en un temps record toutes les appréhensions sécuritaires et difficultés de confrontations identitaires du moment. De ces jours étranges commencés sous une brume opaque comme au diapason de cette folle actualité, je garderais volontiers prioritairement le slogan de départ, et oui ce soir et totalement, je suis Charlie. Mais pas sans mes amis musulmans, pas sans ces jeunes français des franges qui se posent à un moment la question d’une juste cause, d’un sens à une existence désœuvrée, désargentée, vide d’humour et de sens…
Oui ce soir je suis Charlie et pourtant je ne lisais pas forcement toutes les semaines « Charlie hebdo » et son équipe n’était pas forcement grande admiratrice de cet univers catholique qui est le mien. C’est le moins qu’on puisse dire !…. Mais que de rires attachés à ces grands de la croque, et quel culot ! Leurs franchissements recalaient tout l’excès de sérieux en politique comme en religion, tout en épinglant immédiatement les moindres murs ou dérives communautaires… Voilà qui faisait de ces fous du roi d’indispensables contrepoints à nos si rapides appropriations de pouvoirs et impositions de jugements. Ils ont eu un courage de dingues à tenir cette position sans faillir et franchement pour cela je les admire…
Alors oui ce soir je suis Charlie, pour cette précieuse liberté-là qui paradoxalement préserve à l’autre son altérité dont il est possible de rire en toute amitié. Et pourtant je ne peux m’empêcher de penser à ces jeunes en instance de bascule, à ces hommes ou femmes qui cherchent à trouver un ailleurs fort en résistance et armes de refus. Et qui peuvent y perdre toute humanité jusqu’à tomber en d’aussi barbares comportements destructeurs. Et tout cela au nom d’une foi mettant en exergue un nom de Dieu que rien de ma propre foi ne saurait accepter et reconnaître… En ces trois jours à Paris ont été franchis des barrières d’inhumanités proches de celles qui ont présidé à l’attentat dans une école Afghane en décembre, terroristes achevant de balles dans la tête leurs petits otages là-bas, usant d’armes de guerre à tout va ici. Franchies aussi des barrières de sophistication dans une préparation à multiples lieux aux chantages interdépendants multipliant la peur et induisant un risque infini d’amalgames et de potentielles désignations dont nous aurions pourtant assez besoin de nous séparer. Et il nous faut faire face avec toute la particularité de nos engagements personnels en une voix commune et sûre, qui parle à ceux qui hésitent et cherchent en ce moment même d’autres bannières aux scénarios de guerre…
Alors oui ce soir je suis Charlie, proche de ces dessinateurs apôtres d’une légèreté à qui nous devons une fois encore par la folie de leur démente exécution l’évidence d’un message absurde : quel respect, quelle vie peut-il sortir d’une telle destruction ? La liberté, l’humour et le total respect de l’altérité non destructrice ne sont elles pas notre seule issue pour un mode viable ? Alors oui, ce soir je suis Charlie, mais pas sans ces chercheurs en arcanes sombres trop souvent abandonnés à leurs difficiles quêtes, et j’ai envie de marcher pour eux. J’ai envie de leur dire en me levant dimanche qu’ils peuvent prendre d’autres voies, celles de la liberté, celle d’un dialogue et que cette invitation nous engage aussi.
Alexandra Petit, le 9 Janvier 2015
Lc 9, 1-6
Jésus convoqua les Douze, et il leur donna pouvoir et autorité pour dominer tous les esprits mauvais et guérir les maladies ; il les envoya proclamer le règne de Dieu et faire des guérisons. Il leur dit : « N'emportez rien pour la route, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent ; n'ayez pas chacun une tunique de rechange. Si vous trouvez l'hospitalité dans une maison, restez-y ; c'est de là que vous repartirez. Et si les gens refusent de vous accueillir, sortez de la ville en secouant la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage. » Ils partirent, et ils allaient de village en village, annonçant la Bonne Nouvelle et faisant partout des guérisons.
Une phrase m’a longtemps choqué dans ce passage, plus exactement secoué, précisément, comme les pieds dont Jésus parle. Quoi ? Il faudrait quitter ceux à qui on annonce la joie du Royaume en ayant un geste aussi peu sympathique dès lors qu’ils n’applaudissent pas des pieds et des mains ? Mais je n’aurais que des ennemis, moi, si c’était le cas !
En fait, Jésus nous prévient d’un danger. Cette poussière de l’échec peut devenir celle de l’amertume. « Laisse-là toute déception, le disciple n’est pas plus grand que le Maître, et tu sais, J’ai été rejeté, moi aussi, dès les premiers instants de l’homme. » On peut être triste que Dieu soit rejeté, brûlant de cette envie de partager le bonheur d’une Relation qui nous dépasse, et que le monde ne connaît pas. Mais je ne peux forcer personne à tomber amoureux ! N’ayant pas plus que Dieu mainmise sur le cœur de mes semblables, c’est leur liberté souveraine qui compte, pas ma satisfaction (toute relative) d’avoir « fait un adepte » (ou alors, un apôtre serait juste un sergent recruteur… Beurk !). Etre témoin, c’est offrir, et non enrôler. Ce que j’offre, l’autre peut le refuser. Qu’y puis-je ? La déception est un sentiment bien connu, mais elle est la caresse du Mauvais, et là, c’est sûr, il faut se secouer fortement pour ne pas se laisser empoussiérer ! Sous cet éclairage, lorsqu’au dernier repas Jésus lave les pieds de ses disciples, c’est exactement cette poussière-là qu’il évacue et transfigure par une eau proche de celle du baptême.
Transfiguration, car alors seulement, pour les autres, si nous ne sommes plus des « déçus », la poussière peut changer de nature : ce que nous laissons est comme une offrande, une poussière d’étoiles, une lumière qui ne demande qu’à s’allumer le jour où la personne ouvrira les portes de son cœur à cette réalité indicible (J’ai eu, j’ai encore tellement besoin de conversion !). Laisser comme un testament (tiens ?) par une parole, un geste, quelque chose de bon et de vrai qui ouvrira la porte à un souvenir, dans lequel se respirera la tendresse de Dieu, où l’autre comprendra qu’à travers nous, « le Royaume s’est approché ». Compris ainsi, ce n’est plus d’un geste antipathique qu’il s’agit, mais d’un témoignage d’amour. Poussière d’amour : la joie de l’Evangile…
Denis
Il n’est pas nécessaire d’être croyant pour sacraliser la Bible.
D'origine allemande, Thomas Romer a fait une partie de ses études en France où il a découvert que la laïcité « à la française » a relégué la Bible a un usage exclusivement religieux.
D'un côté des laïcs pour lesquels la Bible est une affaire de curés, de l'autre des croyants pour lesquels il importe de démontrer la cohérence du discours biblique dans sa forme canonique, les Patriarches étant comme un prologue à l'Exode, et tout l'Ancien Testament la préparation du Nouveau.
En France singulièrement ces deux approches ne laissent guère d'espace pour une approche culturelle décomplexée.
C'est pourtant ce que Thomas Romer nous propose dans ce livre d'entretiens avec Estelle Villeneuve, archéologue, journaliste et éditrice au « Monde de la Bible ».
Le « style oral » de l'ouvrage permet au lecteur de comprendre plus aisément des problèmes complexes comme la concurrence de mythes fondateurs dans les deux premiers livres bibliques ou la référence à deux divinités distinctes (El et Yahvé, un chef du panthéon et un dieu de l’orage).
La synthèse des recherches actuelles proposée par Thomas Römer dans ce livre surprendra le lecteur qui aurait rangé la Bible dans la catégorie de la littérature pour croyants.
La datation des premiers textes de la Bible a été bouleversée il y a une trentaine d’années on pensait que le premier document avait été rédigé au 10e siècle sous Salomon et David. Il est aujourd’hui très difficile de maintenir cette hypothèse. Les enquêtes archéologiques et épigraphiques montrent en effet que l’on ne commence à avoir une culture d’écriture au royaume de Juda, c’est-à-dire dans le Sud qu’à partir des 8e et 7e siècles. Les textes bibliques sont donc une littérature s’étalant sur presque un millénaire, et centrée entre le 6e et le 4e siècle av. J.-C.
Alors que deviennent les figures historiques d'Abraham ou de Moïse ?
Personne ne peut affirmer qu'ils ont existé ou pas.
La Bible ne nous donne accès qu'à des figures littéraires, et c'est bien le texte qui importe : ce n'est pas le Moïse historique, s'il a jamais existé, qui est à l'origine du judaïsme, mais le texte biblique dont il est le personnage principal.
Si on veut bien s'éloigner un peu de « l'histoire sainte » on constatera par exemple que dans le Livre de la Genèse coexistent une tradition qui promeut une vision d’Israël invité à évelopper son identité avec ses voisins sans exclure qui que ce soit, et une autre, radicalement différente, qui porte un discours qui exclut tout étranger.
A partir du foisonnement de la Bible, bien des interprétations sont possibles, et chacun doit assumer la paternité ce celle qu'il propose, qu'il s'agisse de du pêché originel ou de l'élection, la séparation et l'exception d'Israël parmi les nations.
Au terme de ce livre passionnant intitulé « la Bible, quelles histoires ! » on pourra aussi se dire « l'exégèse, quel chantier ! », et les plus curieux pourront ensuite se reporter au site du Collège de France où Thomas Romer enseigne depuis février 2009 :
Pour nous qui n'avons connu qu'une église catholique très centralisée, l'enquête de Marie-Françoise BASLEZ sur les trois premiers siècles donne l’image surprenante d’une religion de petits groupes éclatés et différents en particulier sur les options théologiques.
J'ai bien aimé en particulier trois points : la position politique de Constantin vis à vis du christianisme, la construction des églises sur la base des réseaux pré-existants, la lecture culturelle des « hérésies ».
Marie-Françoise BASLEZ remet en cause la légende constantinienne : les documents ne confirment pas un tournant après la victoire du pont Milvius : si cette victoire avait été celle qu'en on dit les chroniqueurs, alors on en verrait le trace sur les monnaies, pratique attestée à l'époque ; par ailleurs l'édit de Milan n'est jamais que le décret d'application d'un édit de tolérance qui lui est antérieur.
Il est indéniable que Constantin a donné davantage de visibilité au christianisme, par exemple en 321 il institua « le jour du Seigneur » jour de repos obligatoire.
Lorsqu'il convoque le concile de Nicée, l'attitude de Constantin est politique : il faut unifier l'empire. Pour cela la logistique impériale est sollicitée pour permettre le concile. Le but est d'exclure les dissidences, multiples au moment où la compréhension du message du Christ est en train de se construire, en dialogue avec des cultures très diverses.
Aussi le choix de Constantin n'est pas dicté par une opinion personnelle : l'orthodoxie est la règle de la majorité, et elle doit être décidée à Rome.
Sur les nombreuses options théologiques qui naissent en ces premiers temps, Marie-Françoise BASLEZ montre comment les communautés chrétiennes ont su épouser les identités particulières des diverses régions et localités de l’Empire. Différents mouvements surgissent en tous lieux, et les autorités persécutent indistinctement « hérétiques » et « orthodoxes », ce qui est d’ailleurs confirmé par les récits des Actes des martyrs. Dès les premiers temps les responsables ecclésiastiques cherchent à consolider une doctrine commune, et c'est ainsi que la sélection d’un canon de textes sacrés est un des éléments de la lutte théologique. Le choix d'une option centrale sera imposée seulement à partir de Nicée.
L’identité variée des divers groupes chrétiens dans les multiples lieux de l’Empire se construit autour de réseaux familiaux et associatifs. Dès les premiers temps on voit à travers de nombreux exemples concrets, la capacité du christianisme « à s'enraciner localement en épousant les identités particulières », ce qui permet de faire d'ailleurs une « relecture culturelle des hérésies », comme le montanisme en Phrygie. Même si, vers la fin du IIe siècle, « émerge le pôle romain » et commencent à s'établir des listes de textes canoniques, le christianisme est alors avant tout « une affaire locale » et la visibilité des communautés repose sur l'action sociale et l'éducation des élites : on est évèque de père en fils, recruté dans les familles de notables, celles qui répandent leurs bienfaits sur la cité dans la tradition antique.
Enfin Marie-Françoise BASLEZ montre comment viennent se joindre au tableau quelques « fortes femmes » comme Lydie, chef de famille qui prend la tête de l’Église de Philippes ou comme Thècle, disciple libre de Paul, devenue prophétesse et martyre.
Article rédigé par l'un de nos membres et initialement publié sur le site "Justice et Paix"
Soixante ans après l’appel de l’abbé Pierre (1), 140.000 personnes sont sans domicile en France, près de 17.000 vivent dans des bidonvilles. Se loger pose un problème dramatique pour 3,5 millions qui ont un habitat précaire ou indigne. 5 millions, locataires ou copropriétaires, connaissent de grosses difficultés. En bref, 10 millions de Français ont du mal à se loger.
En 1954, la pénurie de logements due la guerre affectait 20% du parc. En 2014, c’est très différent : la population est passée de 43 à 67 millions et les paysans de 27% à 3% des actifs. Ce double mouvement a accru la concentration urbaine de 57% de la population en 1954 (24 millions) à 87% aujourd’hui (57 millions). Il aurait fallu bâtir 500.000 logements chaque année. Cette promesse réitérée mais jamais réalisée est une lourde faute de la classe politique qui alimente aujourd’hui un cercle vicieux où interagissent économie, emploi, santé, niveau et qualité de vie.
La rareté de l’offre de logements fait monter les prix. En 15 ans, ils ont augmenté 3,5 fois plus vite que les prix à la consommation, et les loyers 1,5 fois. Les revenus du travail, insuffisants, ne peuvent pas suivre. Jusqu’en 2000, un ménage consacrait en moyenne 2,5 ans de revenus pour acquérir un logement, aujourd'hui plus de 4,5 ans. A Paris, s’ajoute un facteur de hausse dû à la demande solvable de gens fortunés. Ainsi, s’il devient problématique à des personnes normales de trouver à se loger, combien plus pour des personnes en situation difficile.
Le logement, premier poste avec 40 % des dépenses pour nombre de ménages, ne laisse disponible qu’un faible pouvoir d’achat, entraînant des privations majeures comme la nourriture ou le chauffage et mettent leur santé en danger. Cela contribue au ralentissement de l’économie. La pénurie de logement pose alors des questions qui échappent au marché.
En Ile-de-France, la grande banlieue est moins chère mais les emplois y sont plus rares et cet éloignement est dissuasif. En 5 ans, 2 millions de personnes ont refusé un emploi, et 80% des employeurs reconnaissent avoir du mal à embaucher pour ce motif. Ainsi, si l’emploi ne fournit plus les ressources suffisantes pour un logement décent, le logement peut-il lui-même devenir un obstacle à l’emploi. Le logement et l’emploi révèlent chacun l’ampleur de la crise et fragilisent plus encore ceux qui sont déjà en difficulté. L’insertion, le développement humain, l’accès à l’emploi passent obligatoirement par un logement salubre.
Les logements en France sont donc trop chers, trop rares, trop loin, trop insalubres, trop petits. Les problématiques imbriquées touchent tout le monde, mais sont traitées de façon isolée. Les gens souffrent en silence. La situation est intenable pour les personnes en difficulté.
Un revenu net médian (2) dont 30% seraient affectés au logement (3) permettrait un loyer de 490 €/mois, soit 10 à 20 m² dans Paris, 30 à 40 m² en banlieue, et 40 à 60 m² ailleurs en France. C’est donc très dur. Ceux qui achètent s’endettent sur un horizon lointain (20 ans ou plus) et pour de lourdes mensualités, parfois un sorte de suicide financier. La propriété qui est un droit est aussi une manière pour l’Etat de se désengager.
Le droit au logement figure dans la déclaration des droits de l’homme et dans le préambule de la Constitution, mais reste une conquête laborieuse et fragile. A noter qu’en 2007 le DALO (4) a créé l’obligation pour l’Etat d’y apporter une réponse, mais cet objectif est loin d’être atteint.
En 2013, 453 personnes sont encore mortes dans la rue en France.
En 2013, 453 personnes sont encore mortes dans la rue en France.
(1) Voir l’article « initiative » en cliquant ici
(2) La moitié des gens au travail gagnent plus que le revenu net médian (1.630 €/mois) et les autres moins. Le seuil de pauvreté est de 977 € par mois. 8,7 millions de personnes vivent en dessous.
(3) les professionnels de l’immobilier ne doivent pas engager plus de 30% des revenus de leurs clients.
(4) le DALO, Droit au logement opposable, 2007
Sources diverses, notamment :
- Rapport de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du mal-logement paru en janvier 2014