Paris vient de vivre trois journées sous haute tension qui ont récapitulé en un temps record toutes les appréhensions sécuritaires et difficultés de confrontations identitaires du moment. De ces jours étranges commencés sous une brume opaque comme au diapason de cette folle actualité, je garderais volontiers prioritairement le slogan de départ, et oui ce soir et totalement, je suis Charlie. Mais pas sans mes amis musulmans, pas sans ces jeunes français des franges qui se posent à un moment la question d’une juste cause, d’un sens à une existence désœuvrée, désargentée, vide d’humour et de sens…
Oui ce soir je suis Charlie et pourtant je ne lisais pas forcement toutes les semaines « Charlie hebdo » et son équipe n’était pas forcement grande admiratrice de cet univers catholique qui est le mien. C’est le moins qu’on puisse dire !…. Mais que de rires attachés à ces grands de la croque, et quel culot ! Leurs franchissements recalaient tout l’excès de sérieux en politique comme en religion, tout en épinglant immédiatement les moindres murs ou dérives communautaires… Voilà qui faisait de ces fous du roi d’indispensables contrepoints à nos si rapides appropriations de pouvoirs et impositions de jugements. Ils ont eu un courage de dingues à tenir cette position sans faillir et franchement pour cela je les admire…
Alors oui ce soir je suis Charlie, pour cette précieuse liberté-là qui paradoxalement préserve à l’autre son altérité dont il est possible de rire en toute amitié. Et pourtant je ne peux m’empêcher de penser à ces jeunes en instance de bascule, à ces hommes ou femmes qui cherchent à trouver un ailleurs fort en résistance et armes de refus. Et qui peuvent y perdre toute humanité jusqu’à tomber en d’aussi barbares comportements destructeurs. Et tout cela au nom d’une foi mettant en exergue un nom de Dieu que rien de ma propre foi ne saurait accepter et reconnaître… En ces trois jours à Paris ont été franchis des barrières d’inhumanités proches de celles qui ont présidé à l’attentat dans une école Afghane en décembre, terroristes achevant de balles dans la tête leurs petits otages là-bas, usant d’armes de guerre à tout va ici. Franchies aussi des barrières de sophistication dans une préparation à multiples lieux aux chantages interdépendants multipliant la peur et induisant un risque infini d’amalgames et de potentielles désignations dont nous aurions pourtant assez besoin de nous séparer. Et il nous faut faire face avec toute la particularité de nos engagements personnels en une voix commune et sûre, qui parle à ceux qui hésitent et cherchent en ce moment même d’autres bannières aux scénarios de guerre…
Alors oui ce soir je suis Charlie, proche de ces dessinateurs apôtres d’une légèreté à qui nous devons une fois encore par la folie de leur démente exécution l’évidence d’un message absurde : quel respect, quelle vie peut-il sortir d’une telle destruction ? La liberté, l’humour et le total respect de l’altérité non destructrice ne sont elles pas notre seule issue pour un mode viable ? Alors oui, ce soir je suis Charlie, mais pas sans ces chercheurs en arcanes sombres trop souvent abandonnés à leurs difficiles quêtes, et j’ai envie de marcher pour eux. J’ai envie de leur dire en me levant dimanche qu’ils peuvent prendre d’autres voies, celles de la liberté, celle d’un dialogue et que cette invitation nous engage aussi.
Alexandra Petit, le 9 Janvier 2015