Depuis 1987, le frère Alain Carron de la Carrière produisait et commentait la messe dominicale diffusée en direct sur France-Culture.
Murs éventrés, marteaux-piqueurs nerveux, poussière blanche, bouquets de fils électriques, le couvent dominicain du 222, rue du Faubourg-Saint-Honoré, où loge le frère Alain Carron de la Carrière est en plein bouleversement. La célèbre voix de France-Culture s’approche, désolée par tout ce capharnaüm. « La communauté veut transformer notre couvent en “cloître ouvert” sur le monde. En attendant la fin des travaux, il faut s’accommoder de ce brouhaha. » Un visage jeune pour cet homme de 75 ans, encadré par une chevelure poivre et sel à la mèche assurée, et rehaussé par des lunettes d’intellectuel à la monture bois clair…
Voilà donc cette voix si connue, chaleureuse et attentive, qui depuis 1987 et jusqu’à la semaine dernière, accompagnait la retransmission de la messe dominicale, de 10 à 11 heures sur France-Culture. À lui seul, une institution. Non seulement dans l’histoire de l’audiovisuel, mais encore dans l’histoire de l’Église de France.
Né en 1932 dans une vieille famille du 7e arrondissement de Paris, château en Bretagne sans eau courante, le futur présentateur de France-Culture fait ses classes dans le scoutisme, en compagnie du P. Pierre de Poracaro. « Une figure qui marque une vie. Je me souviens de son sourire quand, à 13 ans, je lui ai confié mon désir de devenir prêtre. Peu après, il a été déporté à Dachau où il est mort en 1944. »
L’appel de Dieu est plus fort que celui de l’audiovisuel
Et ses premiers pas dans l’audiovisuel ? « Constatant l’engouement pour le cinéma, j’ai créé un ciné-club à 18 ans pour les enfants ! Le réalisateur Albert Lamorisse m’a proposé ses films : rappelez-vous, Le Ballon rouge, Crin blanc… en quelques mois, nous avions 800 adhérents. » Remarqué par le P. Pichard, le premier au monde à avoir retransmis une messe télévisée, pour Noël en 1948, et qui venait de créer l’émission « Le Jour du Seigneur », Alain Carron est introduit dans l’univers artisanal des studios de Cognacq-Jay. Son mentor l’approche aussi du triumvirat composé par les Pères Avril, Boissolat et par Georges Hourdin. « J’ai vendu à la criée les premiers numéros du magazine Radio, Cinéma, Télévision, l’ancêtre de Télérama. » Mais l’appel de Dieu est plus fort que celui de l’audiovisuel naissant et le voilà frappant à la porte des dominicains en 1954. « On n’entre pas chez nous pour faire de la télévision », lui lance le provincial. Ordonné en 1962, il revient dans le monde de l’audiovisuel dans les années 1970, lorsque le « Jour du Seigneur » lui demande d’enquêter sur la télévision par câble aux États-Unis et au Canada.
Nouveau converti cathodique
Le dominicain rencontre alors Mashal McLuhan : « Il m’a fait comprendre combien nous étions entrés dans l’ère du son et de l’image, combien nous étions modelés en profondeur par ces médias sans que nous nous en rendions compte. » À son retour des Amériques, le nouveau converti cathodique lance, au « Jour du Seigneur », les premières émissions pour enfants et débute comme producteur à RFO en 1979. En d’autres termes, quand on le nomme, le 10 octobre 1987, chargé de la retransmission de la messe et des conférences de Carême de Notre-Dame à Radio France, le dominicain est loin d’être un novice. « En vingt ans, j’ai produit et commenté 1 135 messes. Nous avons été dans toutes les régions de France, nous avons posé nos micros dans les lieux plus insolites, comme la chapelle de la prison de la Conciergerie. Mais aussi au Festival d’Avignon : Jean Vilar avait commandé en 1947 quatre créations de messes à la Métropole Notre-Dame de Doms. En son souvenir, j’ai retransmis systématiquement la messe du Festival d’Avignon. » Au cours de ces années, le F. Carron rencontre des dizaines de milliers de paroissiens et des milliers de prêtres : le tissu chrétien de ces vingt dernières années, en somme. « Pour choisir une paroisse, j’avais trois critères : une communauté vivante, un prédicateur solide et une liturgie musicale soignée. Je me fiais aux fidèles pour la trouver : “Vox populi, vox dei”, n’est-ce pas ? Cependant, j’avais aussi une équipe de prédicateurs. » Son dernier mot à l’antenne ? Parmi eux, les Pères Carré, Bro, Stan Rougier. Ces homélies contribuent au succès de l’émission. « Je ne reçois pas moins de 40 lettres d’auditeurs par jour qui me réclament une copie du sermon. » Autre point peu connu, la richesse du répertoire musical. « Nous avons retransmis tous les genres musicaux sans compter les créations : Remy Gousseau, Jean Langlais, Litaize, Darras, Calmel… ont écrit pas moins de 70 messes pour France-Culture. Et Olivier Messiaen. Il a joué pour nous. Mais il n’a jamais souhaité créer une messe. “Après le grégorien, non !”, m’a-t-il dit un jour. » Ce patrimoine musical est conservé dans la cellule du frère. « Mais il y a peu, on m’a rappelé que j’avais 75 ans, dit-il sans amertume, c’est pourquoi, j’ai dû arrêter la semaine dernière. »
Son dernier mot à l’antenne ?
« Que Dieu vous garde ! » Dimanche 2 septembre au matin, les auditeurs vont découvrir une nouvelle voix, celle du P. Eric-Thomas Macé. Un dominicain, bien entendu. Au caractère, lui aussi, bien trempé. Né en 1960 à La Réunion, directeur de marketing pour une grande société, il entre au noviciat de Toulouse à l’âge de 30 ans.
Un bon spécialiste du judaïsme
« J’avais un avenir tout tracé, facile et privilégié. La rencontre avec un dominicain, Guy-Thomas Bédouelle, m’a remis les idées en place. Il a réveillé en moi un désir d’absolu qui, au fond, n’était pas comblé par ma vie personnelle et professionnelle. » Pendant son noviciat, il se passionne pour l’islam et devient, après son studium, délégué au diocèse de Montpellier pour le dialogue avec l’islam et le judaïsme. Rapidement, il est reconnu pour être un bon spécialiste du judaïsme. « J’ai eu la chance de travailler au côté du cardinal Lustiger pour ces questions, et je suis un proche du P. Patrick Desbois. Alors, comprenez ma surprise lorsqu’au printemps dernier, mon provincial m’a appris que j’allais remplacer le F. Carron de la Carrière. Mon expérience radiophonique se limite à ce jour à une émission religieuse que j’ai animée sur RCF pendant deux ans », avoue-t-il non sans humour. Le programme des transmissions étant arrêté jusqu’à Noël, ce n’est qu’à partir de janvier que le F. Thomas Macé choisira le lieu de ses retransmissions. Comme son prédécesseur, il attache une grande importance à la vitalité de la paroisse, à la beauté de la liturgie et à la qualité de la prédication. « Par cette retransmission, j’espère toucher les auditeurs éloignés de l’Église. Au fond, être au plus près de ceux qui sont le plus loin. Je serai plutôt discret dans mes commentaires : le silence a aussi sa part dans la radiodiffusion de la célébration eucharistique. »
" La voix historique de la messe à la radio prend sa retraite ", article signé par Laurent Larcher dans le quotidien La Croix du 31/08/07
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