Jeudi saint 2009 Jn 13.1-15
Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. Au cours du dernier repas, alors que le démon avait déjà inspiré à Judas Iscariote, fils de Simon, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père à tout remis entre ses mains, qu’il est venu de Dieu et qu’il retourne à Dieu, se lève de table, quitte son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin, il se met à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture.
Il arrive ainsi devant Simon-Pierre. Et Pierre lui dit : « Toi, Seigneur, Tu veux me laver les pieds ! » Jésus lui déclara : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard, tu comprendras. » Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! » Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’auras point de part avec moi. » Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! » Jésus lui dit : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, on est pur tout entier. Vous-mêmes, vous êtes purs… mais non pas tous. » Il savait bien qui allait le livrer ; et c’est pourquoi il disait : « vous n’êtes pas tous purs. »
Après leur avoir lavé les pieds, il reprit son vêtement et se remit à table. Il leur dit alors : « Comprenez-vous ce que je viens de faire ? Vous m’appelez ‘Maitre’ et ‘Seigneur’, et vous avez raison, car vraiment je le suis ; Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. »
Pierre est logique : pourquoi les pieds, et pas le reste du corps ? C’est que le pied, dès qu’il aura touché le sol ou nos chaussures aux odeurs nauséabondes, sera de nouveau sale. Voilà donc un signe que le Sacrement de Réconciliation peut être prodigué pour ce qui nous est consubstantiel, ce dans quoi nous retombons systématiquement malgré notre désir d’y échapper. Nous savons bien que le bain du baptême nous purifie, mais ne nous enlève en rien notre capacité à nous salir sur le chemin, et c’était tout le dilemme des premiers chrétiens qui retardaient jusqu’au dernier souffle l’instant de ce sacrement. Reste que dans ce geste, Jésus nous dit deux autres choses.
Il nous dit que ce lavement est malgré tout définitif, si nous en acceptons la promesse. Etre passé par les eaux du baptême ne s’efface pas : c’est comme si la vraie salissure du chemin, celle du cambouis, ne collait plus à la peau, à cause de cette pellicule d’humidité qui nous en protège. La poussière, oui, restera, mais elle partira facilement. La graisse qui pénètre et pourrait nous salir en profondeur nous est inoffensive.
Il nous dit aussi la manière de lui ressembler avec ce que nous sommes. Car si en Jean, la mémoire de la dernière Cène ne précise pas l’institution de l’Eucharistie, c’est que ce n’est plus utile depuis l’immense chapitre 6. Mais ce geste posé nous dit comment faire de notre vie une « incarnation », comment nous faire « pain de vie » à notre tour. Voilà qui nous dit combien, si nous avons un corps, celui ci, loin de devoir être méprisé ou rejeté, est cette nature matérielle magnifique qui peut être Présence Réelle de Dieu dans le service. Oui, nous sommes Présence Réelle si nous nous laissons transfigurer par l’Eucharistie, si nous nous laissons être ce que nous n’attendons même pas de nous-mêmes. Et nous n’avons pas à en tirer gloriole : cela ne peut se faire que malgré nous (serait-ce l’effet d’un effort de notre part que ce serait inexistant).
Ainsi le cadeau dépasse ce que nous osons imaginer. Si nous savions ce que nous recevons ! Oh, nous laisser happer, saisir, par Celui qui a été « élevé de terre », nous qui sommes « dans le monde ». Ce monde magnifique auquel nous avons à porter ce Miracle. L’Eucharistie va jusque là. Elle nous transforme au point de transformer notre prière, qui devient l’imploration de cette joie : « Père, je voudrais tant laver les pieds du monde où Tu m’as placé pour Te l’offrir comme une fiancée toute parée pour le Roi. »
C’était peut-être la prière du Christ durant son incarnation ? « Que ton Règne vienne »
DP