Article rédigé par l'un de nos membres et initialement publié sur le site "Justice et Paix"
Soixante ans après l’appel de l’abbé Pierre (1), 140.000 personnes sont sans domicile en France, près de 17.000 vivent dans des bidonvilles. Se loger pose un problème dramatique pour 3,5 millions qui ont un habitat précaire ou indigne. 5 millions, locataires ou copropriétaires, connaissent de grosses difficultés. En bref, 10 millions de Français ont du mal à se loger.
En 1954, la pénurie de logements due la guerre affectait 20% du parc. En 2014, c’est très différent : la population est passée de 43 à 67 millions et les paysans de 27% à 3% des actifs. Ce double mouvement a accru la concentration urbaine de 57% de la population en 1954 (24 millions) à 87% aujourd’hui (57 millions). Il aurait fallu bâtir 500.000 logements chaque année. Cette promesse réitérée mais jamais réalisée est une lourde faute de la classe politique qui alimente aujourd’hui un cercle vicieux où interagissent économie, emploi, santé, niveau et qualité de vie.
La rareté de l’offre de logements fait monter les prix. En 15 ans, ils ont augmenté 3,5 fois plus vite que les prix à la consommation, et les loyers 1,5 fois. Les revenus du travail, insuffisants, ne peuvent pas suivre. Jusqu’en 2000, un ménage consacrait en moyenne 2,5 ans de revenus pour acquérir un logement, aujourd'hui plus de 4,5 ans. A Paris, s’ajoute un facteur de hausse dû à la demande solvable de gens fortunés. Ainsi, s’il devient problématique à des personnes normales de trouver à se loger, combien plus pour des personnes en situation difficile.
Le logement, premier poste avec 40 % des dépenses pour nombre de ménages, ne laisse disponible qu’un faible pouvoir d’achat, entraînant des privations majeures comme la nourriture ou le chauffage et mettent leur santé en danger. Cela contribue au ralentissement de l’économie. La pénurie de logement pose alors des questions qui échappent au marché.
En Ile-de-France, la grande banlieue est moins chère mais les emplois y sont plus rares et cet éloignement est dissuasif. En 5 ans, 2 millions de personnes ont refusé un emploi, et 80% des employeurs reconnaissent avoir du mal à embaucher pour ce motif. Ainsi, si l’emploi ne fournit plus les ressources suffisantes pour un logement décent, le logement peut-il lui-même devenir un obstacle à l’emploi. Le logement et l’emploi révèlent chacun l’ampleur de la crise et fragilisent plus encore ceux qui sont déjà en difficulté. L’insertion, le développement humain, l’accès à l’emploi passent obligatoirement par un logement salubre.
Les logements en France sont donc trop chers, trop rares, trop loin, trop insalubres, trop petits. Les problématiques imbriquées touchent tout le monde, mais sont traitées de façon isolée. Les gens souffrent en silence. La situation est intenable pour les personnes en difficulté.
Un revenu net médian (2) dont 30% seraient affectés au logement (3) permettrait un loyer de 490 €/mois, soit 10 à 20 m² dans Paris, 30 à 40 m² en banlieue, et 40 à 60 m² ailleurs en France. C’est donc très dur. Ceux qui achètent s’endettent sur un horizon lointain (20 ans ou plus) et pour de lourdes mensualités, parfois un sorte de suicide financier. La propriété qui est un droit est aussi une manière pour l’Etat de se désengager.
Le droit au logement figure dans la déclaration des droits de l’homme et dans le préambule de la Constitution, mais reste une conquête laborieuse et fragile. A noter qu’en 2007 le DALO (4) a créé l’obligation pour l’Etat d’y apporter une réponse, mais cet objectif est loin d’être atteint.
En 2013, 453 personnes sont encore mortes dans la rue en France.
En 2013, 453 personnes sont encore mortes dans la rue en France.
(1) Voir l’article « initiative » en cliquant ici
(2) La moitié des gens au travail gagnent plus que le revenu net médian (1.630 €/mois) et les autres moins. Le seuil de pauvreté est de 977 € par mois. 8,7 millions de personnes vivent en dessous.
(3) les professionnels de l’immobilier ne doivent pas engager plus de 30% des revenus de leurs clients.
(4) le DALO, Droit au logement opposable, 2007
Sources diverses, notamment :
- Rapport de la Fondation Abbé Pierre sur l’état du mal-logement paru en janvier 2014