Après les meurtres du début janvier et dont les auteurs justifiaient leurs actions par des références à l'Islam j'ai voulu comprendre, au moins un peu, les mécanismes de la radicalisation.
Je suis allé chercher pour cela les quelques auteurs français spécialistes de la question, commençant par « la Sainte Ignorance » d'Olivier Roy.
Olivier Roy écrit depuis maintenant plus de 30 ans sur la question de l'Islam, et dans « la Sainte Ignorance » il développe au delà de l'Islam les conséquences de la rupture entre religion et culture.
Déculturation et absence de transmission conduisent toute une génération à se construire un islam réduit à des normes explicites (charia) et à des slogans détachés de tout contexte social (djihad). Quant à ceux qui se radicalisent, il s'agit d'une collection d’individus, de solitaires, de jeunes déclassés, mal dans leur peau qui se socialisent dans le cadre d’une petite bande ou d’un petit groupe qui se vit comme l’avant-garde d’une « communauté musulmane » imaginaire : aucun n’était inséré dans une sociabilité de masse, qu’elle soit religieuse, politique ou associative. Ils étaient polis mais invisibles : « avec eux, c’était juste bonjour-bonsoir » est un leitmotiv des voisins effarés. Ils parlent pêle-mêle de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Tchétchénie, des musulmans massacrés dans le monde, mais aucun n’évoque le racisme, l’exclusion sociale ou le chômage, et ils ne citent la Palestine que parmi la litanie des contentieux.
Olivier Roy porte son analyse sur le marché des religions, et relève des parallèles, comme l'apparition d'une circulation mondiale des dogmes et des religiosités, et dans ce vaste marché ce sont des conversions individuelles qui ont lieu, sans lien avec la culture locale. On pense à l'Islam, mais les exemples sont nombreux dans toutes les religions ou presque. Et pour faciliter ces conversions mondiales, il vaut mieux n'avoir à partager qu'un corpus d'idées simples, d'autant plus transposable qu'il n'est plus adhérent à une culture. On crée du « pur religieux » en détachant la norme religieuse de toute morale sociale .
Dans ce rêve de la foi pure, qui a pu être celui de Savonarole j'ai retrouvé beaucoup de questions de pastorale très actuelles pour les catholiques, ce qui me fait dire que nous n'avons pas rien à voir avec le mouvement dans sa globalité.
Par exemple dans le texte récent du synode de la famille on lit Il ne faut pas oublier non plus que l’Église qui prêche sur la famille est un signe de contradiction. La posture prise est bien celle d’une sous-culture minoritaire qui s'oppose au multiculturalisme contemporain qui n'est plus profane mais carrément païen.
Dans cette évolution, ce qu'il reste de croyants se trouvent plus impliqués dans leur foi, dans des communautés plus ferventes. L’Église renforce ses exigences et favorise l’avancée au cœur de la foi. Elle a le souci de former des chrétiens « adultes dans leur foi ». Oliver Roy dirait « des purs ». Mais quelles est la conséquence de ce christianisme confessant plus exigeant ? Est-il encore possible de laisser place à différents modes d’appartenance chrétienne et donc de ménager des cheminements possibles qui ne soient pas enfermés dans le tout ou rien, le tout dedans et le tout dehors. Olivier Roy relève que pour se marier religieusement il faut plus désormais qu'un certificat de baptême, et le synode sur la famille suggère des formations approfondies en préparation au mariage. Ici ou là la préparation des parents au baptême de leur enfant revêt des exigences nouvelles.
Dans le même temps que nous cherchons « des purs », qui répondront à l’exigence d’une vie chrétienne plus radicale et communautaire nous ne voyons plus la vie de l’Esprit à l’œuvre en tout homme dans le monde, mais seulement les lignes de rupture, surtout en matière de morale familiale et sexuelle, notamment sur les sujets brûlants que sont par exemple la place de la femme, l’homosexualité ou la parentalité. Où va la religion qui se contente d'une orthopraxie et ne donne plus un horizon de sens ? Nous voyons des paroisses se resserrer et des fidèles les quitter sur la pointe des pieds, sans contestation.
Saurons nous estomper les frontières au lieu de les renforcer ?
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