Sans prétendre à l’exclusivité, la joie occupe une place particulière dans notre spiritualité dominicaine, en écho à la personnalité joyeuse de Dominique que nous rapporte Jourdain de Saxe, son compagnon de route, en ces termes : « L’équilibre serein de son être intérieur s’exprimait par la gaieté de son visage, parce que la joie du cœur rend joyeux le visage ... Le témoignage de sa bonne conscience éclairait toujours d’une très grande joie son visage. Par cette joie, il acquérait facilement l’amour de tout le monde, il s’infiltrait, dès le premier regard, dans l’affection de tous ... Durant le jour, nul ne se mêlait plus que lui à la société de ses frères ou de ses compagnons de route, nul n’était plus gai. »
800 ans plus tard, Pierre Claverie exprime à sa façon la joie irrépressible qui saisit ceux qui sont proches de Dieu : « Autour de Jésus, il y a un climat spécial et les gens ne s’y trompent pas, c’est pour cela qu’ils viennent parfois de très loin. » L’envie de le voir, de l’approcher, est irrésistible et l’intensité de sa présence exceptionnelle. Il y a des gens comme ça : l’air que l’on respire auprès d’eux est particulier, les repères sont modifiés et quelque chose d’impalpable se manifeste. Pierre évoque un « climat » de rencontre, de communion, d’amitié autour de Jésus. Beaucoup de témoins bouleversés, retournés, convertis, rayonnent d’une joie incontrôlable.
Mais quelles peuvent bien être les causes fondamentales de nos joies ?
- La joie de vivre, existentielle, le fait d’être, le bonheur d’exister que nous partageons avec le règne animal mais dont nous avons, comme humains, une conscience aigüe. Les sagesses orientales sont très à l’écoute de cette voix intérieure qui dit le bonheur de l’instant. Cette joie est communicative et, pour nous chrétiens qui croyons que la vie nous vient de Dieu, le fait de l’éprouver est de l’ordre de la louange et de l’action de grâce.
- La joie d’être ensemble entre proches, amis, voisins, en famille, en Eglise et en fraternité. Nous éprouvons cette joie en maintes occasions où la chaleur humaine vient rompre des solitudes, réduire des peurs, soutenir des efforts ou consoler des chagrins.
- La joie de la rencontre et du dialogue avec des personnes plus lointaines, différentes. Pierre Claverie tient sa porte toujours ouverte pour « l’autre » qu’il accueille avec le sourire et une joie débordante qui met tout de suite à l’aise. Pierre trouve sa joie à s’approcher ainsi de l’Autre, c'est à dire Dieu lui-même.
- La joie d’aimer et d’être aimé. L’amour et la confiance de ses parents poussent Pierre Claverie à forger la béatitude zéro : « heureux ceux en qui on a cru », témoignant de la joie de l’amour reçu qui permet d’aimer à son tour et de se donner, sans limite. Cette joie, qui ne peut s’acheter ni être dérobée, est un don gratuit de Dieu déposé en nous.
- La joie de l’œuvre achevée. Dieu lui-même, ayant accompli son œuvre, jugea que cela était bon. De même, quiconque prolonge la création en produisant une œuvre, si humble soit-elle, en ressent de la joie. Cette joie est un critère qui nous permet de dire si ce que nous faisons est bien. C’est une joie profonde de pouvoir le vivre et le partager.
- La joie d’être en Dieu. Elle s’éprouve à travers la prière et les sacrements, mais encore dans la proximité de tous nos frères et sœurs humains qui sont à son image.
Si donc les saints rayonnent de joie alors qu’aux yeux des hommes ils semblent manquer de tout, c’est que leur joie est ailleurs que dans la réussite, la santé ou les honneurs. Leur joie est en Dieu, elle est Dieu même. Telle est notre espérance.
Ceux qui sont emplis de l’amour débordant de Dieu ne peuvent le contenir, alors ils le rayonnent. Heureux les fêlés, dit-on, car ils laissent passer la lumière. Il est tout à fait étonnant de réaliser combien ceux-là ont comme en surplus une force qui émane d’eux. Comme des aimants, ils attirent et fortifient ceux qui les entourent, mais ne le sentent pas vraiment eux-mêmes, ce sont surtout ceux et celles qui les côtoient. Dominique et Pierre Claverie étaient de ceux-là.
« La joie est le secret gigantesque du chrétien.» (Chesterton). Peut-être, mais encore faut-il que ce secret se lise sur les visages. « Je croirai en Dieu quand les chrétiens auront des têtes de ressuscités ! » (Nietzsche). Chiche !