Retrouvez ci-dessous l'édito du 8ème Journal des Fraternités Laïques dominicaines d'Île de France – Normandie, signé par Janine FELLER pour le mois de mai :
"Il est des lieux que l’on aime sans y être jamais allé et que l’on voudrait visiter, explorer, « expérimenter » pourrait-on dire, des lieux auxquels nous lie une sympathie élective, une tradition, une fraternité profonde. L'abbaye de Boscodon dans les Hautes-Alpes est de ceux-là Parce que c’est le lieu d’une magnifique aventure spirituelle et humaine et d’une aventure dominicaine. Heureusement, il y a les livres. Sœur Jeanne-Marie qui, depuis 1972, a contribué à faire vivre les lieux, a publié il y a peu de temps le récit de cette renaissance, dans un livre-témoignage répondant aux questions de Guillaume Goubert, journaliste à La Croix, dont les entretiens avec le Frère Timothy Radclffe, alors maître général des dominicains, ont connu un vif succès.
Le livre de Sœur Jeanne-Marie*, publié aux éditions du Cerf et préfacé par Timothy Radcliffe, comporte un double récit. C’est d’abord l’autobiographie de Sœur Jeanne-Marie, d’une famille industrielle normande, famille chrétienne nombreuse. C’est à l’occasion d’une retraite au monastère de Prouilhe, berceau des moniales de l’Ordre, fondé par saint Dominique lui-même, qu’elle ressent sa vocation dominicaine. Les premières années seront difficiles. L’évocation de la vie monastique de l’époque préconciliaire (1052) fait mesurer la rudesse de cette vie La religieuse sera ensuite appelée à Chalais, non loin de Grenoble, dont elle deviendra prieure de 1968 à 1972.
C’est là qu’elle connaîtra Boscodon, à 1150 m d’altitude, dans un vallon forestier, ancienne abbaye romane non loin du lac de Serre-Ponçon dont l’abbatiale du XIIe siècle bâtie par des moines venus du monastère de Chalais, et les bâtiments adjoints, sont alors occupés par un hameau de familles d’agriculteurs. L’abbatiale sert d’étable et de grange. Un appartement est perché dans le fond de la nef. Sans ces familles, l’abbaye serait devenue un tas de pierres.
Un long chantier et une communauté ouverte
L’autre face du récit, c’est précisément la longue phase des travaux entrepris et menés à bien jusqu’à ce jour, ce long chantier de découverte des bâtiments et reconstruction, en accord avec les autorités administratives et culturelles, y compris naturellement les autorités ecclésiales et religieuses, toujours avec le souci que la restauration et l’entretien apportent du travail à des entreprises locales.
On peut se poser la question de l’opportunité de remettre sur pied une abbaye dans une société qui se déchristianise. C’est que tout homme porte en lui un patrimoine spirituel…
Boscodon n’est pas un lieu monastique, en accord avec le Provincial des Dominicaines, c’est « un foyer de vie de la famille dominicaine » associant les différentes institutions de l’Ordre des Prêcheurs. De fait, la communauté actuelle comporte deux moniales dominicaines, deux frères prêtres dominicains, un frère missionnaire des campagnes et, récemment, un moine cistercien. C’est donc une communauté ouverte et une communauté mixte. Le statut de cette communauté est régi par une charte et une convention que les responsables de plusieurs institutions dominicaines ont signées le 3 juillet 2000. Il n’y a pas de laïcs engagés dans l’Ordre dominicain mais des laïcs vivant près de l’abbaye partagent la vie spirituelle de la communauté. D’autres viennent pour des séjours pendant les périodes de vacances. Ils participent à la vie commune, aux différents services - cuisine, ménage - travaillent à l‘importante librairie, font visiter les lieux. Ils ont des temps de parole et ils prient ensemble. Les visites de l’abbaye sont également le temps fort de la connaissance de Boscodon. Elles peuvent durer jusqu’à deux heures et se terminent dans la salle commune par des questions qui dépassent l’histoire et l’architecture pour toucher souvent au domaine spirituel. Beaucoup ont le désir de comprendre « qui nous sommes ». Les entrées de visiteurs peuvent atteindre 15 000 à 20 000 personnes chaque année.
Sœur Jeanne-Marie aime à dire que ce lieu et cette communauté dominicaine sont « une prédication » au sens dominicain précisément de « frères prêcheurs ». Elle aime aussi le symbolisme de la lumière qu’elle voit naître chaque matin à travers les fenêtres de l’abbatiale. Le cantique de Zacharie, que l’on chante à l’Office, évoque le soleil, astre d’en haut, soleil levant qui vient nous visiter … « Lorsque la lumière arrive sur une pierre, écrit sœur Jeanne-Marie, celle-ci se trouve transfigurée par rapport à celle qui reste dans l’ombre. Et pourtant elle est restée la même dans sa matérialité. Puis mon regard se poursuivant, je vois que cette pierre illuminée renvoie immédiatement la lumière à un autre endroit de l’église. Je le ressens comme une obligation merveilleuse. Le Christ, soleil levant, vient me visiter et me transfigure. Mais en même temps je ne peux pas garder pour moi cette lumière. Cette communion dans la lumière est pour moi le symbole de l’amour de Dieu qui nous habite pou que nous le fassions rayonner sur nos frères. »
En accueillant ceux qui passent, la vocation dominicaine de Boscodon n’est-elle pas de contribuer à rayonner la lumière du Christ ?
*Sœur Jeanne-Marie, La clarté des pierres. Entretiens avec Guillaume Goubert. Préface du RP. Timothy Radcliffe, op, Paris, éd. La Croix-Cerf, 2006, 156 pp. 15 €).
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