Se priver ça devrait faire mal ! Une idée peu attrayante qui ne peut constituer un but en soi, mais qui ; partant de l’idée de punition et de pénitence, nous amène à la reconnaissance de nos faiblesses, au repentir et au pardon. Nous pouvons y voir un travail sur nous-mêmes et une condition nécessaire pour mieux accueillir Dieu, pour mieux repartir dans son compagnonnage.
Le jeûne est bien une privation, certes, mais derrière cette formulation négative, il est possible d’y mettre un contenu positif de rénovation personnelle, un exercice d’ascèse et d’hygiène mentale pour certains. Pourtant, n’y voir que cet aspect assez nombriliste nous ferait passer à côté de quelque chose de plus important.
« Voici le jeûne que je préfère : dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient. N’est-ce pas partager ton pain avec l’affamé ? Les pauvres sans abri, tu les hébergeras. Si tu vois quelqu’un nu, tu le couvriras. » (Isaïe 58, 6-10).
Ce passage de l’AT nous renvoie bien sûr au NT : « j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli, nu et vous m'avez vêtu, malade et vous m'avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir. Dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. » (Mt 25, 35-40).
Et enfin : « Une pauvre veuve s’avança et déposa deux piécettes. Jésus s’adressa à ses disciples : elle a mis dans le tronc plus que tout le monde. Tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a tout donné, tout ce qu’elle avait pour vivre. » (Mc 12, 38-44).
Jésus nous désigne clairement cette pauvre veuve comme un modèle de solidarité. Elle se prive de l’essentiel pour le donner, pour le partager, au-delà du raisonnable.
Voilà clairement établi un lien entre la privation et la solidarité : se priver peut donc s’entendre comme un travail sur nous-mêmes en vue de nous tourner vers les autres. Dans ces conditions, se priver peut introduire à une joie.
Mais que penser si je me prive et que je n’en éprouve pas la douleur ? Probable que cette privation est bien légère au milieu de l’abondance dont je jouis et ne touche sans doute pas à l’essentiel. Peut-être est-elle le fruit d’un travail déjà en route ? Mais jetons aussi un regard sur des privations bien plus lourdes qui sont déjà là :
- les circonstances de la vie nous privent de trucs énormes, qu’on ne confie pas au premier venu, qu’on ne s’avoue parfois pas à soi-même, ce sont nos fragilités, nos pauvretés. Privation de travail, de revenus, de logement. Privation d’amour, de tendresse, de compagnon ou d’enfant. Privation d’intimité, de soins, de sommeil. Privation de liberté, d’innocence. Privation de rêve, de passion, de la réalisation d’un projet. Non ce n’est pas volontaire. Oui, ça, peut faire très mal, cela peut nous atteindre dans la profondeur de notre être. Il y en a parmi nous pour qui c’est déjà le carême toute l’année, sans devoir en rajouter. - Ce temps de carême est aussi celui que choisit le CCFD pour nous demander de nous faire proches des lointains qui ont tant de besoins à combler : eau, nourriture, éducation, droits, santé, développement … ils sont tant pour qui le jeûne est un exercice imposé quotidiennement. Une belle occasion pour nous décentrer et nous approcher d’eux si on le peut, pour les comprendre mieux, les considérer comme nos frères et sœurs, leur tendre la main, partager quelque chose avec eux et devenir leurs témoins auprès de ceux que nous côtoyons habituellement. - Et si nous sommes tenus éloignés de ces prochains lointains dont nous ne pourrons être les témoins, nous pourrions faire comme Thomas qui ne croit que ce qu’il voit, qui n’accepte d’agir que s’il y était … Cependant, pour Thomas comme pour chacun de nous, privés de proximité, l’effort qui nous est demandé c’est d’accepter de nous en remettre en confiance aux témoins et intermédiaires, et prêter notre concours à travers eux.
Dans ces conditions, se priver de nourriture, de loisirs ou de tabac sera plutôt un acte, réel certes mais de faible impact, et pourtant un geste symbolique puissant, un signe d’humilité et de conversion devant Dieu, et aussi de solidarité qui nous rappelle que les plus graves privations à affronter et à soulager ne sont pas toujours celles que l’on s’impose à soi-même mais certainement celles injustement subies.
Patrick
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