Au soir du jeudi saint, après l'homélie, le prêtre qui préside l'eucharistie lave les pieds de quelques personnes. Dans mon groupement paroissial ce sont 12 personnes, choisies attentivement pour représenter l’ensemble de la communauté paroissiale, et notamment les plus humbles, qui participent à ce rituel.
Chacun prend soin d’être à l’heure, et de prendre la place qui lui est assignée. Alors que voit-on, quand on est assez près pour voir quelque chose ? On voit que le prêtre se met à genoux devant chacun, verse de l'eau sur des pieds propres, puis les essuie.
Devant 400 personnes, on a mouillé puis séché des pieds propres pendant la messe. Que voulait-on montrer ?
Faisons cette expérience de pensée : imaginons l’arrivée à l’étape après une longue marche, l’été, à ce moment où tant de randonneurs se déchaussent alors pour plonger les pieds dans l’eau fraiche d’un ruisseau.
Alors imaginons d’être accueillis par une personne qui nous lave les pieds pour de vrai. On verra des pieds sales, gonflés et rougis. On verra des ampoules peut-être, et toutes les marques de la marche du jour, mais aussi toutes les déformations qui témoignent de tous les pas qui nous ont portés depuis nos premiers jours. On verra de pauvres pieds qui ont eu leur jeunesse, et qui souffrent. Et on verra l’hôte qui se met à genoux, qui lave, qui baigne, qui apporte le soulagement. Sur le visage du randonneur on verra de la gêne au moment de se déchausser et puis se sera de la surprise au contact de la fraîcheur de l’eau, et puis le soulagement et la reconnaissance.
Alors on verra ce qu’on ne peut pas voir lors de nos célébrations : on verra l’amour et la compassion de celui qui se met à genoux, l’humilité de celui qui se déchausse et accepte de dévoiler sa souffrance, on verra comment être chef c’est être serviteur, on verra comment se laver les pieds les uns les autres c’est entrer dans un rapport de fraternité.
Voilà pourquoi il est important de maintenir l’expérience et l’intelligence des symboles que nous utilisons, faute de quoi nos gestes à la fois épurés de toute réalité et recouverts du décorum liturgique ne porteront pus aucun sens.
Pour le voir autrement, je vous propose la photographie de ces objets hybrides qu’on ne sait trop comment nommer : que disent ces sortes de cierges électriques de la vive flamme de notre prière ?
Philippe Oriach