Plus encore, non seulement j’admets que l’autre est autre, sujet dans sa différence, libre dans sa conscience, mais j’accepte qu’il peut détenir une part de vérité qui me manque et sans laquelle ma propre quête de vérité ne peut aboutir totalement. J’ai besoin de lui, car il manque à ma connaissance. L’autre peut donc m’apporter quelque chose d’essentiel.
Pierre Claverie, qui a vécu son enfance en Algérie, découvre à 19 ans que les Arabes qu’il côtoyait chaque jour étaient aussi « son prochain ». Ce choc fondateur va orienter toute sa vie, au point qu’il fait du dialogue et de la rencontre de l’autre le cœur de sa démarche de foi. Saisi par une double vocation, algérienne et dominicaine, il vient en France pour étudier, mais c’est pour entrer dans l’Ordre des prêcheurs, en suivre la formation approfondie et être ordonné prêtre. En 1967, il retourne à sa demande dans une Algérie devenue entre-temps indépendante.
Pierre y approfondit son intuition, à Alger comme directeur du centre diocésain des Glycines, puis à Oran à partir de 1981 comme évêque, mettant en pratique ses convictions progressivement forgées au fil du temps. D’abord quitter sa bulle et ouvrir sa porte afin de ménager un passage pour rendre possible la rencontre avec l’autre, comme avec le tout Autre. Ainsi peut se dégager un chemin vers la Vérité, une voie qui mène à Dieu.
Il faut encore se dépouiller intérieurement pour mieux accueillir l’autre dans l’humilité: Il n’y a de dialogue possible, de rencontre, que si chacun est profondément convaincu de sa faiblesse, de sa petitesse, de sa pauvreté et s’il a la conviction que lui, comme l’autre, ne tiennent que par la miséricorde de Quelqu’un.
L’esprit de pauvreté est donc un préalable à toute rencontre, elle-même prélude au dialogue, un exercice bien difficile car il faut pour cela franchir des abîmes d’ordre politique, religieux, linguistique et culturel, mais la récompense est au bout : Chaque rencontre est le lieu d’une révélation, chaque personne a une dignité infinie. Rencontrer l’autre, son semblable, dans sa différence, est source inépuisable de richesses, pour Pierre une vraie passion: Je donne ma vie, depuis toujours, pour le dialogue.
Nul ne possède la vérité, chacun la recherche. Si la vérité est unique, nos regards sont pluriels. La vérité de l’autre, c’est en réalité la part de vérité qui est la sienne, celle qu’il perçoit. J’ai besoin de la vérité des autres. Pour Pierre, nous avons tous besoin de nous écouter mutuellement, d’autant plus que nous sommes différents. Nul ne perd son identité dans cette écoute, mais chacun l’enrichit. Il est alors possible d’accéder par le haut à une vérité plus grande que nos petites vérités partielles.
Pierre aime à dire que le climat autour de Jésus est d’abord un climat de rencontre. Autour de lui les personnes se rencontrent, il rencontre les personnes. On pourrait dire un climat de communion, une présence personnelle. Ne sommes-nous pas tous sur des chemins d’Emmaüs ? « Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi ». (Jn, 14, 6). Pierre dit encore : le maître-mot de ma foi est le dialogue. C’est Dieu qui s’invite au cœur de toute rencontre.
Le 1er août 1996, une bombe attend Pierre et le tue sur les marches de sa chapelle.
Patrick Vincienne
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