Par Philippe
L’Evangile du dimanche 7 avril était centré sur le personnage de Thomas, l’incrédule (Jn 20,1-31), et celui du dimanche 14 avril nous décrivait une scène de pêche et la rencontre des apôtres avec Jésus (Jn 21,1-14). Je voudrais vous proposer une lecture conjointe de ces deux textes dans la perspective de la mission de l’Eglise, ayant à l’esprit tout particulièrement la part que peuvent y prendre les laïcs.
Lorsque Jésus apparait aux disciples rassemblés, Thomas n’est pas avec eux, pourquoi ? Le texte nous dit « Les disciples avaient verrouillé les portes du lieu où ils étaient, car ils avaient peur des Juifs ». Si Thomas n’était pas avec eux, c’est probablement parce que lui n’avait pas peur, et qu’il osait encore aller dans le monde. Pendant que les disciples étaient serrés les uns contre les autres dans un lieu verrouillé, Thomas continuait d’être au contact des autres. Thomas est un homme qui a du courage.
Plus tard, les disciples racontent à Thomas la venue de Jésus, mais Thomas ne les croit pas. Pourquoi ? Le témoignage de disciples apeurés n’est pas crédible, leur comportement n’est pas en accord avec ce qu’ils disent. Jean nous le dit, et nous l’observons tous les jours. Thomas pointe l’essentiel : d’autres ont vu le Seigneur sans le reconnaître, lui demande à voir les plaies de Jésus. Les plaies du supplice sont la trace du don de Jésus, elles sont la marque de son amour pour le monde. Thomas demande à voir les preuves de l’amour sur le corps ressuscité, et lorsque Jésus paraît à nouveau il s’adresse directement à Thomas pour lui faire toucher les preuves de son amour.
Thomas le courageux a aussi osé interroger son Seigneur et qui a porté la question sur l’essentiel. Au chapitre suivant, Jean nous décrit une scène de pêche où on retrouve Thomas avec Pierre et cinq autres disciples. Dans cette barque sur laquelle se trouvent sept disciples on verra une image de l’Eglise. Mais n’oublions pas que Pierre était pêcheur avant sa rencontre avec Jésus et qu’il habitait Bethsaïde au bord du lac de Tibériade : Pierre, André, Philippe sont revenus à leur activité professionnelle, et c’est là que Jésus les retrouve : sur leur lieu de travail et dans une situation d’échec. De manière surprenante, Pierre passe un vêtement pour se jeter à l’eau ; on attendrait plutôt l’inverse. Le texte nous dit : « Quand Simon-Pierre l'entendit déclarer que c'était le Seigneur, il passa un vêtement, car il n'avait rien sur lui ». Couvrir sa nudité, c’est le mouvement même d’Adam qui se cache lorsqu’il découvre qu’il est nu. Comme Adam, Pierre prend conscience de sa faiblesse et il a honte. De même que Pierre nous connaissons nos manques, nous savons toutes les compromissions auxquelles une activité professionnelle nous conduit. Nous nous savons nus.
Si nous comptons sur nos seules forces, l’échec est là, échec dans les projets pastoraux de l’Eglise figurée par la barque, échec aussi dans notre vie professionnelle de laïcs chrétiens qui est figurée par la même barque. Mais si nous sommes véritablement chrétiens, alors l’espérance du Christ qui nous rejoint en tous les lieux de nos vies doit nous permettre d’être partout des témoins : être chrétiens « entre nous », dans une sorte de conformisme social hérité de nos familles, blottis au chaud dans nos paroisses ou sous l’aile protectrice d’un clerc c’est trahir notre baptême.
Nous avons à nous porter aux marges, à la périphérie de notre monde pour rejoindre tous ceux que la vie malmène, et de bien des manières. Les figures de l’Eglise qui parlent à nos contemporains et annoncent le Christ sont connues : elles apportent la miséricorde et non le jugement, elles annoncent une espérance à ceux que la vie afflige, elles marquent leur différence par un choix délibéré.Le message de ces chrétiens-là est croyable parce qu’eux-mêmes sont crédibles.
La conclusion de tout cela se trouve dans le discours du cardinal Vingt-Trois en ouverture de l’assemblée des évêques de France qu’il présidait pour la dernière fois, le 16 avril au matin : « La pointe du combat que nous avons à mener n’est pas une lutte idéologique ou politique. Elle est une conversion permanente pour que nos pratiques soient conformes à ce que nous disons : plus que de dénoncer, il s’agit de s’impliquer positivement dans les actions qui peuvent changer la situation à long terme. Il s’agit de nous laisser nous-mêmes évangéliser par la bonne nouvelle dont nous sommes les témoins. Alors, l’écart qui doit apparaître entre notre manière de vivre et les conformismes de la société ne pourra pas être perçu comme un jugement pharisien, mais comme un espace d’appel et comme une espérance. »
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