Mardi 28 avril 2008 Jn 6.30-35
Après la multiplication des pains, la foule dit à Jésus : « Quel signe vas-tu accomplir pour que nous puissions le voir, et te croire ? Quelle œuvre vas-tu faire ? Au désert, nos pères ont mangé la manne ; comme dit l’Ecriture : il leur a donné à manger le pain venu du ciel. » Jésus leur répondit : « Amen, amen, je vous le dis : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain venu du ciel ; c’est mon Père qui vous donne le frai pain venu du ciel. Le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. » Ils lui dirent alors : « Seigneur, donne-nous de ce pain-là, toujours. » Jésus leur répondit : « moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif ».
Le déroulement de ce passage rappelle mot pour mot la rencontre de la Samaritaine deux chapitres plus haut. « Au désert, nos pères ont mangé la manne… » rappelle « Seigneur, tu n’as rien pour puiser (…) serais-tu plus grand que notre père Jacob… ? ». Et la Samaritaine implorant « donne-la moi, cette eau, que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser » trouve écho en « Seigneur, donne-nous de ce pain là, toujours ».
Seigneur, nous avons l’enseignement des Apôtres, la tradition de l’Eglise et tout le trésor de la pensée patristique, mais sommes aussi lents que cette foule à comprendre : elle vient de vivre un miracle, la multiplication des pains. C’est le miracle que nous vivons chaque dimanche. Et malgré l’émerveillement que cela devrait déclencher, elle demande « une œuvre ». Comme nous, qui avons parfois besoin que Tu Te manifestes dans notre vie. On peut comprendre intellectuellement que Tu soies nourriture. Mais pour que ce soit plus qu’un article de foi, pour voir ton Corps dans ce simple morceau de pain blanchâtre consacré… il y a un saut énorme à faire, qui ne peut être fait que par le vrai Miracle : la Rencontre de ta Tendresse, indubitable, au plus profond de nous, nourriture au delà de toute nourriture.
Cette rencontre est-elle le fruit de l’oraison ou de l’insistance d’une prière perpétuelle ? Non, ce n’est pas le résultat d’un effort de notre part, mais d’un lâcher prise : accepter de rendre les armes pour que tout à coup toute l’Ecriture se cristallise en un instant d’Eternité où Tu Es, et où les soifs quotidiennes de l’inquiétude sont balayées au profit d’une autre soif, bien plus intense, où les faims premières sont vécues dans la confiance au profit d’une faim d’un autre ordre, que nous avons à découvrir en Te laissant « faire [ton] œuvre » en nous. Passer de l’enseignement reçu à cet accomplissement dont les mots ne pourront jamais traduire la plénitude.
Seigneur, si je peux dire aujourd’hui que Tu es pour moi le pain de vie, comment l’expliquer. Cela m’est parfois une blessure. Les mots existent-ils ailleurs que dans la profondeur d’un regard transfiguré ? Existent-ils autrement qu’en étant à notre tour pain offert, mangés jusqu’à la croute la plus dure de nos défenses et de nos derniers relents d’égoïsme ? Existent-ils autrement que dans l’élan joyeux de cette autre faim et de cette autre soif qui donne soif autour de nous ?
Existent-ils ailleurs que dans le silence illuminé ?